vendredi 6 mars 2020

MIELS !

Normalement, présenter les miels mis à disposition par le Rucher devrait être un  simple exercice de style : poétiquement engagé.
Dans la pratique, dès la tentation de répondre à l’interjection « Ha, vous faites du miel », cela commence à se gâter. Ce sont les abeilles qui fabriquent le miel à partir du nectar des fleurs, à moins que….la réponse candide ne cache en réalité beaucoup de détails, parfois très  techniques.
On peut faire simple : Une de nos activités est de conditionner le fruit du travail des abeilles tout en le préservant. Le conditionnement, c’est dans la miellerie avec : traçabilité par lot, étiquetages, valeurs techniques, etc…
C’est peut être ça après tout « faire du miel ».
Essayons d’être cependant un peu plus ambitieux, en vous contant la grande aventure de ces pots de miels aux couleurs et parfums si différents.
En commençant donc par le Miel de Printemps
Généralement, nous n’avons pas le temps, le courage et le cœur de déplacer les colonies lorsque aux environs de fin mars-début avril, dans le Nord-Est tourangeau, les abeilles s’impatientent dans un habitat trop petit, constitué uniquement du corps de la ruche, remis à neuf pour la saison (nouveaux cadres de corps cirés, plateaux changés, écume de cire fraiche en haut des cadres). Les champs de colza sont éblouissants du jaune qui précède la miellée de printemps, et les abeilles s’y précipitent même avec 12 ° C et en slalomant entre les gouttes de pluie. 
C’est le miel de l’énergie printanière.
Les premières hausses de la saison sont posées sur les grilles à reine (maillage qui empêche la « grosse » reine de monter dans la hausse pour pondre)  car nous n’avons aucun appétit pour du miel aux larves d’abeilles. Le corps c’est pour la reine,  sa ponte et les réserves de la colonie, la hausse, parfois, pour l’apiculteur.

Des hausses au début du printemps, c’est comme « le lait sur le feu ». Les colonies se reproduisent naturellement au printemps par  l’essaimage que nous n’entravons pas : la vielle reine va quitter la colonie avec une partie de son peuplement et une nouvelle reine naitra, effectuera son vol nuptial  et assurera la continuité de la colonie. Enfin ça c’est la théorie contrariée par de nombreux dangers potentiels, mais c’est une autre histoire.
La particularité du miel de printemps et finalement sa relative rareté tient au fait qu’il tend à cristalliser très vite y compris à l’intérieur des cadres dans la hausse. On obtient à coup sûr l’impossibilité d’extraire ce miel à froid dès lors que la colonie a essaimé et/ou  que les conditions de température deviennent subitement très fraiches ce qui n’est pas rare en Touraine au printemps. Avec philosophie, on résume cela entre collègues par un « y’a eu de la casse au printemps ».
Dans la pratique on observe que les colonies essaiment de préférence avant un changement de temps (en allant vers le mauvais temps), histoire de compliquer davantage la possibilité de récolte de ce miel alors que nous sommes occupés à récupérer les essaims sous la pluie avant que tout ce petit monde ne périsse de froid et de faim.
La récolte de printemps se pilote à la demi-journée près, ce qui ne nous incitera jamais à posséder plus de colonies que nous ne pourrions en gérer dans ce contexte.  Cette récolte s’effectue, cadre par cadre, avec des balayettes soyeuses. Nous n’employons pas de souffleur et de plus nous ne récoltons que du miel à maturité, c’est  à dire des cadres de miel operculés, que nous remplaçons par de nouveaux cadres vides.
Un cadre de miel operculé  permet d’envisager d’avoir du miel à maturité qui est un produit, suivant la loi, contenant moins de 20 % d’humidité. Dans la pratique, avec des printemps bien humides, il n’est pas rare de trouver sous les opercules un produit qui selon la définition ci-dessus n’est pas du miel ! 
C’est à ce moment précis où nous commençons à être obligés de reconnaitre que, effectivement, « nous faisons du miel ».
Traiter le miel nécessite de l’énergie : pièce chauffée dans la miellerie, généralement entre 28  et 30 ° C, et déshumidifiée pour éviter qu’un supplément d’humidité soit incorporée dans le miel depuis l’air ambiant qui n’est plus régulé par le travail des abeilles. Il nécessite surtout « un juge de paix », le réfractomètre, pour vérifier la teneur en eau pendant toute la chaine de « production » du miel.
Les étapes s’enchainent, l’EMMS, histoire de créer un acronyme rien que pour nous ! :
Extraction (désoperculation à froid manuelle), Maturation du miel dans les maturateurs et écumage, Mise en pot (avant que le miel ne cristallise dans les maturateurs !) et Stockage des pots progressivement en zone froide. Le miel va finir sa maturation en cave avec son millésime de l’année, comme il se doit pour un grand cru !
En résumé le miel de printemps, il est blanc parce que c’est du miel de printemps (et que nos abeilles en Touraine jusqu’à présent ne nous ont rien proposé d’autres !). Il est aussi naturellement à cristallisation fine et donc facile à tartiner et de saveur douce très appréciée des jeunes enfants notamment.

Vers la récolte du Miel Fleurs de Printemps.
Comme on l’a décrit, le miel de printemps doit impérativement être récolté à un moment ou à un autre. On ne peut pas laisser les hausses toute la saison car  il va cristalliser et faire cristalliser tout les nectars collectés ultérieurement dans les cellules. A cet effet ; on doit changer l’intégralité des hausses quand la miellée d’acacia, seul miel naturellement liquide de notre région,  se précise au gré des températures en hausse à la fin du printemps.

Après l’effervescence d’essaimage du printemps, nous attendons pour les colonies encore en production, que la miellée d’acacia débute et que toute trace de floraison tardive de colza ait disparue. Par voie de conséquence, les cadres récoltés disposeront de miel plus ou moins operculés, avec plus au moins d’humidité. Nous effectuons cette récolte généralement avec le balayage, mais nous pourrions également la pratiquer avec un souffleur ou bien avec un chasse abeille qui n’est pas un procédé barbare ou chimique, mais une simple astuce qui consiste à simplifier la descente des abeilles dans le bas de la ruche tout en compliquant le chemin dans leur remontée dans la hausse que l’on veut enlever.
Nous devons vérifier avec soin la teneur en eau du miel récolté et généralement effectuer une déshumidification  pendant 24 heures, avant d’effectuer notre EMMS.  Ce faisant, nous sommes vraiment en processus de « production » car les abeilles n’ont pas eu le loisir de finaliser ce travail. Par chance, la présence de nectar d’acacia et d’aubépine  ralentit le processus de cristallisation et ce miel à la capacité de rester plus longtemps dans les hausses, puis dans les maturateurs.
Un petit rappel s’impose : d’abord un rappel à la loi, pas plus de 20 % d’eau ! Suivi d’un rappel à l’ordre : Un miel chargé d’eau risque de fermenter, sans pour autant nous donner un bon hydromel !
Texture et saveur sont très proches du Miel de Printemps. On les distingue cependant facilement par la couleur plus grise du Miel Fleurs de Printemps. Le parfum du miel est également plus complexe du fait qu’il représente l’éventail de toutes les floraisons de printemps jusqu’à l’acacia.


Touraine : 2012, 2013, 2014, 2016, 2017, 2019, ou l’énumération des années sans miel d’acacia en Touraine du Nord Est. Quand les conditions ne sont pas réunies pour récolter le miel le plus demandé, pour sa texture liquide, il n’y en a pas. Point ! Parfois il y en a un peu, comme en 2019, mais il vaut mieux le laisser en nourriture aux abeilles quand la météo présente des risques d’aggravation. De toute façon on en retrouvera une partie dans le miel de forêt. Après on peut forcer les abeilles à de grandes transhumances en cherchant des régions plus clémentes, mais non : on souhaite vous parler de miels de Touraine, principalement.
Pour avoir du Miel d’acacia, il faut :
Des colonies dont la population n’est pas partie en essaimage massif dans les ruchers des voisins
Une petite semaine avec une température agréable, sur un sol assez humide, et si peu de vent que chaque soir vers 18 heures l’air embaume la senteur des fleurs d’acacia. Les collègues (ils sont un peu du sud…) relatent les années somptueuses où le nectar s’épanche en flot continu  des fleurs d’acacia.
L’acacia est récolté à maturité, par balayage. Les cadres non récoltés enrichiront le miel de Forêt.
L’acacia est liquide et peut rester liquide au moins deux années, sans aucun traitement thermique ou mécanique. C’est donc le seul miel pour lequel il n’est pas précisé sur l’étiquette « mise en pot à la récolte », car, pour persévérer dans l’apiculture pendant cette décennie qui se termine, il convient d’être optimiste et de prévoir que ce miel pourrait être temporairement stocké par palettes de fûts de 300 kg dans la cave plutôt qu’en pot !

Miel de Forêt
Pas d’appellation Châtaignier au rucher de la Rillonnière, car il s’agirait d’une appellation mono-florale que même les cévenols ont du mal à garantir certaines années.
Notre Miel de forêt pourrait être qualifié de « miel d’arbre », mais ce serait encore une erreur car il va toujours incorporer la floraison des ronciers, entre autre.
La période du Miel de Forêt constitue une pause bienvenue dans la gestion tendue du planning de Récolte/Extraction/Nettoyage de la miellerie car la période de butinage est longue.
Cette période de butinage recouvre au moins la fin de la miellée d’acacia , la floraison des tilleuls communs puis des tilleuls argentés, les ronces qui disqualifient souvent le miel dit de châtaignier et bien sûr le châtaigner qui lui aussi embaume l’air les jours peu venteux. La miellée de  châtaignier partage ainsi avec la miellée de sarrasin cette caractéristique olfactive marquée qui nous permet de savoir ce que les abeilles ont butiné préférentiellement. 
Bien évidemment nous collectons uniquement les cadres de miel à maturité (operculés), toujours en balayage. Cette disposition, vous fera comprendre par la suite que ce sont les abeilles qui assemblent le Miel de Fleurs d’Eté.
Le miel de Forêt est également un « miel de saison », car il cristallise en prenant son temps. A nous le miel liquide et corsé sur les glaces de l’été ! Le risque étant que sa cristallisation (de septembre à novembre, parfois), peut générer un gros grain. Bien évidemment nous pratiquons notre EMMS pour fournir un miel millésimé et nous le mettons donc en pot encore liquide après la récolte. Cela nous permet d’afficher fièrement, du moins en 2018 et temporairement, la disponibilité de deux miels « liquides » : Acacia et Forêt. A maturité consommée,  Il garde son attrait comme « miel à l’ancienne » grâce à une cristallisation qui, suivant les années, peut-être plus ou moins granuleuse.

Miel de Forêt dit Crémeux
Il n’y a pas de consensus pour décrire la qualité crémeuse pour un miel, mais cependant il existe heureusement  des techniques anciennes et éprouvées permettant de figer les qualités gustatives du miel tout en le domestiquant pour prétendre le tartiner facilement. On prend donc le risque d’une appellation « Forêt crémeux », principalement pour le distinguer du Miel de Forêt « Brut » initialement décrit.
Pour cela on va introduire un nouvel acronyme, l’E3MS, pour Extraction, Maturation, Malaxage, Mise en pot  et Stockage, mais surtout utiliser une « recette » (chaque apiculteur à la sienne !) également utilisée pour le Miel Fleurs d’été.
L’opération supplémentaire de Malaxage recouvre plusieurs éléments mais pour l’essentiel consiste en l’adjonction d’une petite amorce de miel de Fleur de Printemps ou de Printemps à grain naturellement fin. Le miel ainsi ensemencé et malaxé régulièrement pendant quelques jours va démarrer une cristallisation à grain fin. Il est ainsi souvent  mis en pot en premier.
La saveur des deux miels reste assez semblable, mais une fois que les deux miels sont cristallisés et bien que la quantité de miel de printemps incorporé soit  minime, le miel « crémeux » prend une teinte un peu plus claire.  En moyenne cependant, le miel de Forêt est susceptible d’incorporer une proportion plus importante de miel de châtaignier donnant une teinte beaucoup plus foncée et un goût plus soutenu.
Toutes ces opérations sont effectuées A FROID, suivant une séquence linéaire. A aucun moment le miel n’est réchauffé, défigé à chaud, etc… Même l’amorce est traitée à froid (merci le Kenwood chef !).  Il existe beaucoup de techniques et d’outils pour rendre le miel crémeux. Notre malaxeur se nomme « queue de cochon »  (musculation garantie, en inox évidemment !)
Avec cette nouvelle explication, nous devons quand même avouer que, finalement « on fait du miel » !
Il existe effectivement une activité d’apiculteur qui consiste à prendre soin des abeilles qui le rendront en nectar collecté, puis en miel façonné mais surtout préservé dans la miellerie.

Normalement, ne pas récolter d’acacia à cause d’une météo calamiteuse et pluvieuse, permettrait d’envisager une récolte ronce-châtaignier. Mais ce n’est pas obligatoire et trop souvent, il faudra « passer son tour » et tout remettre en jeu sur le miel suivant, ou simplement se contenter de retirer des hausses vides avant les opérations de mise en hivernage.


Miel de Fleurs d’été
Il est assemblé par les abeilles dans les hausses, parfois depuis le Miel d’acacia. Il faut bien comprendre que sa récolte est vraiment liée à la dynamique des ruchers (essaimage, orphelinage, intoxications violentes – rares heureusement) mais surtout à la disponibilité des ressources florales. C’est aussi à ce moment que la prédation des frelons commence à handicaper les colonies.
Pour l’essentiel, il faudra compter sur  une miellée de Tournesol, mais un champ de phacélies sera aussi le bienvenu et il peut être important d’effectuer de petites transhumances pour que les abeilles remplissent leurs rôles de pollinisateurs, ou ne meurent pas de faim dans un environnement non adapté.

Pour laisser aux colonies  le temps de consolider leurs propres réserves pour l’hiver, on retire généralement les hausses avant que les tournesols ne soient défleuris : on force ainsi les abeilles à stocker le miel dans le corps de la ruche, les réserves pour l’hiver, surtout si on sait de pas avoir de lierre, dernière ressource abondante de l’année, en suffisance à proximité des ruchers d’hivernage.
L’appellation Toutes Fleurs devrait pouvoir être utilisée, mais c’est interdit à juste titre, sauf à permettre de préciser Toutes Fleurs de Touraine, ou Bretagne, ou Vendée, etc…
Car en effet il s’agit bien d’un miel de Toutes les fleurs de Touraine puisqu’il va être, comme pour le Forêt Crémeux, ensemencé avec du Miel de Printemps. Le travail en miellerie s’appuiera donc sur notre E3MS décrit plus haut.
Généralement, la récolte s’effectue par balayage de tous les cadres, mais comme pour le miel de Fleurs de Printemps, elle pourrait très utilement être effectuée au souffleur électrique, mais pour le moment on n’est pas convaincu que cela soit sympa pour les abeilles... Par ailleurs, pour glisser un plateau chasse-abeille sous trois hausses pleines de miel (au moins 50 kilos avec le bois), il vaut mieux être mécanisé (grue, camion, etc…) et au vu des faibles récoltes de la décennie, il est préférable d’avoir du matériel amorti !

Miel de Tournesol
Les années de canicule qui se suivent ne sont normalement pas propices à la production de miel de tournesol dans notre territoire.
Pour une appellation mono-florale, il conviendrait d’acheminer des colonies sans hausses, donc sans réserve, pour la miellée de tournesol dans le Richelais (pour rester en Miel de Touraine), ou attendre un millésime faste comme 2018.
Avant la généralisation des problèmes d’insecticides, et alors qu’il n’y avait pas encore de Varroa Destructor ni de frelons asiatiques, les récoltes pouvaient être abondantes. Aujourd’hui nous aurons sans doute rarement l’occasion de faire usage de nos belles étiquettes bleues du ciel d’été, soulignant le jaune vif, couleur symbolique des blés mûrs, souvent associé au miel. La récolte sera traitée en mode brut, c'est-à-dire sans amorce et malaxage. Le grain du miel de Tournesol est relativement fin et on ne fera qu’un EMMS.

Miel de Fleur d’été Sarrasin
Le hasard des emplacements de ruchers et des plans de culture des agriculteurs permet parfois d’avoir à proximité des champs de sarrasin suffisamment arrosés. Impossible de se tromper quant à la présence de sarrasin grâce à une odeur très caractéristique, même si le champ est caché à la vue à un ou deux kilomètres. Le miel produit ne sera pas mélangé au reste de la récolte et sera traité en mode brut, c'est-à-dire sans amorce et malaxage. Le grain du miel de Tournesol, souvent associé, est relativement fin et on ne fera qu’un EMMS.

Pour Résumer :
Notre Miel de Touraine a son origine en Touraine même si quelques fois nos abeilles frontalières peuvent aller piller quelques fleurs loir-et-chériennes, mais  personne ne les blâmera : pas de grande transhumance.
Il n’est jamais chauffé car il est mis en pot après la récolte en bénéficiant  donc d’un  millésime. Comme il n’a jamais été chauffé, vous ne risquerez pas de l’abîmer en le faisant fondre au bain marie (40° Max) pour récupérer au fur et à mesure de vos besoins des miels d’étés et de forêt liquides.
Le miel finalise longuement sa maturation en pot dans la cave et il présente parfois des signes de cristallisation, pas forcément esthétiques, mais sans incidence qualitatives.
Nos abeilles ne sont jamais nourries pendant la saison (à minima elles gardent le miel pour elles) donc vous ne trouverez aucune trace de « miel de sucre » dans nos pots.
Nous espérons qu’au moins l’un d’entre eux vous plaira car nos abeilles et nous même, nous nous donnons beaucoup de travail pour parvenir à ce résultat.

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