mardi 18 décembre 2018

Le jeu de Darwin et du Hasard


Encore un article au parfum théâtral  pour décrire une année apicole qui se  termine avec ses moments de stress et de bonheur.
Pas de mortalité hivernale au rucher mais les échos de la détresse de nombreux apiculteurs avec des pertes très importantes de colonies.
Nous avons été très près de l’hécatombe, n’ayant pas soupesé en 2017 le niveau d’infestation du varroa destructor et nous avons donc été présent pour le comptage (*) du varroa  et l’anticipation avec l’approvisionnement d’une nouveau médicament, utilisable en cours de saison avec une AMM (autorisation de mise sur le marché) compatible avec une conduite BIO  du rucher mais dont  nous n’avons heureusement pas eu besoin cette année.
Contrairement à ce que nous avions craint, notre traitement d’automne conventionnel après récolte a été cette fois encore d’une efficacité redoutable.

Il n’est plus permis de faire l’économie d’une surveillance constante de l’état sanitaire des ruchers et de confier ses colonies au soin de la Providence ou des remèdes ésotériques.
 Pourtant des apiculteurs expérimentés ont perdus jusqu’à 80 % de leurs colonies et nous savons qu’à cet égard nous n’avons aucun mérite ni compétence particulière. A ce jeu de roulette russe, nos ruchers seront-ils les suivant sur la liste du grand ménage darwinien ?

Une race d’abeille de « compétition » (**) quasiment sous copyright, s’impose dans les ruchers et les élevages, pour deux colonies chez un particulier ou des centaines de clones chez les professionnels.
Pourtant n’est-il pas admis à l’aune de la recherche d’une forme de productivisme apicole qu’une trop forte sélectivité peut entrainer des risques d’inadaptation des espèces trop sélectionnées ?

Ces diverses interrogations nous ont fait comprendre, non pas l’exemplarité de notre relation aux abeilles, mais notre particularisme vis-à-vis des multitudes d’expériences que nous aurions pu souhaités avoir et que de facto nous avons rejetés intuitivement. Nous sommes au service d’un équilibre fragile et en sollicitant un peu de chance, nous préférons faire confiance à nos colonies.

D’ailleurs ce ne sont pas Nos colonies et pour reprendre le fil de la narration de notre année apicole, il devient patent que nous n’en sommes que les serviteurs, quand à la période de l’essaimage on observe à nouveau que des essaims manifestement étrangers à nos ruchers viennent en encombrer les abords. Cet instinct grégaire nous a fait mettre en boite des abeilles minuscules mais douces et avides d’investir la ruchette proposée et de féroces descendantes de souches anciennement sélectionnées puis abâtardies dans l’agressivité,  plus soucieuses de bénéficier de la diversité génétique du rucher pour ses futures reines que de se laisser domestiquer.
En contre-point nous espérons et savons que les nombreux essaims qui ont pris la poudre d’escampette depuis nos ruchers auront trouvés des foyers d’adoption auprès des nombreux apiculteurs désemparés devant les ruches vidées à la sortie de l’hiver. A charge pour eux de satisfaire à la première obligation d’un apiculteur et dont nous parlerons dans notre Charte du Rucher : être responsable vis-à-vis du sanitaire collectif.

Tout ce petit monde, profitant de conditions météorologiques presque convenables, a eu tôt fait de produire du miel en quantité « normale » et varié. Le problème d’une production « normale » faisant suite à une longue série d’années de désappointement se révèle quand il faut stocker le miel produit.
Les ruchers épargnés par la surmortalité et dont les effectifs ont mécaniquement suivi à la hausse pendant six ans la baisse de rendement à la ruche ont produit trop de miel. C’est une des leçons amères de l’année pour beaucoup de professionnels qui vendent en fût aux quelques conditionneurs bien connus qui ont pris goût au miel d’importation plus ou moins tracé mais toujours moins cher à produire qu’un miel français.
Aux apiculteurs et conditionneurs, il incombe donc aussi de satisfaire à l’exigence d’une traçabilité économique et sociale pour savoir qui produit quoi et comment (La deuxième obligation de notre Charte du Rucher…)

D’ailleurs nous avions suggéré en début d’année à nos colonies de faire un petit effort pour supporter la taxe à la valeur ajoutée, l’augmentation prévisible de la MSA et l’imposition du « bénéfice » micro-agricole et ont a été reçus cinq sur cinq ! Enfin une belle année ponctuée  en plus avec un miel d’acacia d’anthologie !

Le Rucher  de la Rillonnière est ainsi devenu, à son corps défendant, un « acteur économique » et à ce titre soumis à des aléas de mauvaise gestion !
Sous cette forme de plaisanterie se cache en réalité un accident industriel qui témoigne de la technicité qui doit être à l’œuvre pour la conduite des colonies sur ruches à cadre Dadant. Six années de récoltes médiocres ont ainsi eu pour corollaire la raréfaction de la cire d’abeille qui participe à la gestion sanitaire et technique des colonies. Nous avons commis l’erreur d’approvisionner de la cire d’une provenance douteuse si ne n’est de Cuba, où comme chacun sait ; « l’embargo ne permet pas de saupoudrer dans les champs les cochonneries chimiques produites en occident ».
Promis, vous n'aurez plus de cubaine !

Le problème du rétropédalage n’est pas encore totalement résolu alors qu’il est apparu que plus de la moitié de nos colonies légèrement  xénophobes n’ont pas voulu travailler et construire convenablement sur cette cire d’importation : le drame du BIO dans la mondialisation avec 5.000 km au compteur.

Donc l’hiver2018- 2019 nous verra faire fondre notre propre réserve de cire, patiemment accumulée, le temps que la situation s’assainisse, tout en admettant que nous avons participé à la pénurie avec la thésaurisation de nos lingots de cire!


Notre dernier bulletin nous voyait désemparés devant la faiblesse de la production de tournesol. Cette année encore, les abeilles auront consommé le miel de forêt pour leur travail de pollinisation, mais nous l’auront rendu en poids de tournesol. Par contre nous avons été émerveillés par leur travail sur un champ de tournesol où nous avions été invités par un agriculteur Bee-Friendly.  Quelle merveilleux spectacle que  de voir l’activité de butinage sur les fleurs de tournesol envahies par nos protégées alors que la veille de la transhumance seuls quelques bourdons étaient à l’ouvrage !.
Corvée d'eau - canicule 2018

C’est là que nous mesurons vraiment en tant qu’apiculteur notre impact vis-à-vis de notre environnement. Nous savons, ainsi que notre agriculteur, la valeur inestimable que les abeilles concourent à produire dans notre environnement commun et même si nous le classons en troisième position dans la philosophie qui animera les points clés de notre Charte du Rucher, nous sommes conscient de notre responsabilité, même si elle n’est pas valorisée financièrement.
Transhumance sur sarrasin - Tournesol


La persistance d’arrières saisons sèches en continuité des canicules estivales nous fait toujours douter de la capacité des colonies à construire des réserves et maintenir une population adaptée à l’hivernage : les abeilles d’hiver perdent trop d’énergie en dehors de la ruche pour un maigre butin. Du moins jusqu’à ce que les attaques de frelons asiatiques tendent vers leur maximum. A partir d’un certain seuil de prédation, c’est la prostration sur la planche d’envol à un niveau que nous n’avions pas encore expérimenté.  Nous avons observé que nos colonies dans un rucher au moins, attendais que nous ayons tué suffisamment de frelons asiatiques (on appelle cela « calmer le jeu ») pour sortir en masse de la ruche pour le vol de propreté dans une ambiance similaire à celui d’un essaimage (à l’attention de ceux qui ont fréquenté des ruches au printemps pendant la dite période !). Avec Nathalie, nous en déduisons que nos colonies ont besoin de papa et maman pour aller faire popo !
Corvée de frelon asiatique sur un rucher d'hivernage

Nous planifions de revoir nos pratiques en relation avec ce stress de fin de saison en limitant l’usage de nos ruchers sédentaires. Cela induira nécessairement de déménager les ruchers dès la miellée de printemps car notre rucher historique à la Rillonnière était au final lui-même la cible d’un nid de frelon asiatique, bien caché à moins de cinquante mètres des ruches, au sommet de l’érable à proximité  (sans compter d’autres nids qui avait eu le temps de « trianguler » notre rucher).


2018 est donc une année de transition pour la pérennité de la filière apicole dans son ensemble car beaucoup d’apiculteurs de loisirs auront baissé les bras. En réalité dans ce jeu de massacre de Darwin et du Hasard, le seul moyen d’avoir envie de continuer, c’est de soustraire Darwin et de le remplacer par l’Amour pour nos abeilles.


* Comptage du varroa : Nous utilisons des planchers Nicot 100 % aéré ce qui permet de positionner un lange graissé pendant 24 H dans les rails sous le plancher. Nous procédons ainsi à un comptage des varroas qui tombent naturellement, si possible avant que les fourmis ne les évacuent !
Des normes construites par des apiculteurs au cours de longues expérimentations permettent de lire le niveau de parasitage des colonies. Il n’est pas sérieux de maudire la terre entière si la pression du varroa n’est pas mesurée.

** Buckfast ou Frère Adam : Douceur et productivité, mais aussi « pompes à sirop industriel» en cas de disette alimentaire dans l’environnement selon certains collègues. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Buckfast )

mercredi 4 avril 2018

Tournesols 2017 : Mélo en 2 Actes

A - Prologue - La course au tournesol

Acte I - Présentation des actrices
Scène 1 : Nous aimons le nom de ce lieu-dit : Bois Canon, festif en rajoutant un UN, mais incongru en Touraine
Scène 2 : Un chêne magnifique qui n'ombrage plus les moissonneurs, mais les butineuses
Scène 3: Sur la plaine qui s'assèche

Scène 4 : A peut près la même chose, mais sur tournesol bio, et les frelons qui vont avec...

Acte II - Pollinisation
Scene 1 : une au travail



Scène 2 : Deux au travail

Scène 3 : Soleil ! Des milliers au travail !

B - Epilogue
Le bilan de notre saison apicole en Nord est Touraine :
40 Colonies, 40 Kg de Miel qui, cependant, ne peut même pas être qualifié de tournesol !
En réalité c'est plutôt une "perte" d'au moins cent soixante kilos de miels de Forêt, consommés sur place car transhumés avec les colonies dans les hausses,  et qui devait permettre d'élaborer dans un premier temps le miel de Toutes Fleurs (seules les colonies considérées "chétives" donc non transhumantes, auront produit un peu de ce miel dans les autres ruchers).
Plus au sud, chez un collègue, 120 colonies, 120 Kg de Miel, mais pas pour les mêmes raisons.
Dans nos ruchers c'est le Varroa Destructor (parasite et principal fléau des abeilles), qui aura affaiblit nos colonies dès le mois de juin, secondé par les frelons européens et asiatiques.
Au final, ceci n'est pas un sourire mais un smiley narquois pour ce qui s'apparente techniquement à notre pire année de récolte depuis 2011.