Normalement, présenter les miels mis à
disposition par le Rucher devrait être un
simple exercice de style : poétiquement engagé.
Dans la pratique, dès la tentation de
répondre à l’interjection « Ha, vous faites du miel », cela commence
à se gâter. Ce sont les abeilles qui fabriquent le miel à partir du nectar des
fleurs, à moins que….la réponse candide ne cache en réalité beaucoup de
détails, parfois très techniques.
On peut faire simple : Une de nos activités
est de conditionner le fruit du travail des abeilles tout en le préservant. Le
conditionnement, c’est dans la miellerie avec : traçabilité par lot,
étiquetages, valeurs techniques, etc…
C’est peut être ça après tout « faire
du miel ».
Essayons d’être cependant un peu plus
ambitieux, en vous contant la grande aventure de ces pots de miels aux couleurs
et parfums si différents.
En commençant donc par le Miel
de Printemps
Généralement, nous n’avons pas le temps, le
courage et le cœur de déplacer les colonies lorsque aux environs de fin mars-début
avril, dans le Nord-Est tourangeau, les abeilles s’impatientent dans un habitat
trop petit, constitué uniquement du corps de la ruche, remis à neuf pour la
saison (nouveaux cadres de corps cirés, plateaux changés, écume de cire fraiche
en haut des cadres). Les champs de colza sont éblouissants du jaune qui précède
la miellée de printemps, et les abeilles s’y précipitent même avec 12 ° C et en
slalomant entre les gouttes de pluie.
C’est le miel de l’énergie printanière.
Les premières hausses de la saison sont
posées sur les grilles à reine (maillage qui empêche la « grosse »
reine de monter dans la hausse pour pondre) car nous n’avons aucun appétit pour du miel
aux larves d’abeilles. Le corps c’est pour la reine, sa ponte et les réserves de la colonie, la
hausse, parfois, pour l’apiculteur.
Des hausses au début du printemps, c’est
comme « le lait sur le feu ». Les colonies se reproduisent
naturellement au printemps par l’essaimage
que nous n’entravons pas : la vielle reine va quitter la colonie avec une
partie de son peuplement et une nouvelle reine naitra, effectuera son vol
nuptial et assurera la continuité de la
colonie. Enfin ça c’est la théorie contrariée par de nombreux dangers
potentiels, mais c’est une autre histoire.
La particularité du miel de printemps et finalement
sa relative rareté tient au fait qu’il tend à cristalliser très vite y compris
à l’intérieur des cadres dans la hausse. On obtient à coup sûr l’impossibilité
d’extraire ce miel à froid dès lors que la colonie a essaimé et/ou que les conditions de température deviennent
subitement très fraiches ce qui n’est pas rare en Touraine au printemps. Avec
philosophie, on résume cela entre collègues par un « y’a eu de la casse au
printemps ».
Dans la pratique on observe que les colonies
essaiment de préférence avant un changement de temps (en allant vers le mauvais
temps), histoire de compliquer davantage la possibilité de récolte de ce miel alors
que nous sommes occupés à récupérer les essaims sous la pluie avant que tout ce
petit monde ne périsse de froid et de faim.
La récolte de printemps se pilote à la
demi-journée près, ce qui ne nous incitera jamais à posséder plus de colonies
que nous ne pourrions en gérer dans ce contexte. Cette récolte s’effectue, cadre par cadre,
avec des balayettes soyeuses. Nous n’employons pas de souffleur et de plus nous
ne récoltons que du miel à maturité, c’est
à dire des cadres de miel operculés, que nous remplaçons par de nouveaux
cadres vides.
Un cadre de miel operculé permet d’envisager d’avoir du miel à maturité
qui est un produit, suivant la loi, contenant moins de 20 % d’humidité. Dans la
pratique, avec des printemps bien humides, il n’est pas rare de trouver sous
les opercules un produit qui selon la définition ci-dessus n’est pas du
miel !
C’est à ce moment précis où nous commençons à être obligés de
reconnaitre que, effectivement, « nous faisons du miel ».
Traiter le miel nécessite de l’énergie :
pièce chauffée dans la miellerie, généralement entre 28 et 30 ° C, et déshumidifiée pour éviter qu’un
supplément d’humidité soit incorporée dans le miel depuis l’air ambiant qui
n’est plus régulé par le travail des abeilles. Il nécessite surtout « un
juge de paix », le réfractomètre, pour vérifier la teneur en eau pendant
toute la chaine de « production » du miel.
Les étapes s’enchainent, l’EMMS, histoire
de créer un acronyme rien que pour nous ! :
Extraction (désoperculation à froid
manuelle), Maturation du miel dans les maturateurs et écumage, Mise en pot
(avant que le miel ne cristallise dans les maturateurs !) et Stockage des
pots progressivement en zone froide. Le miel va finir sa maturation en cave
avec son millésime de l’année, comme il se doit pour un grand cru !
En résumé le miel de printemps, il est
blanc parce que c’est du miel de printemps (et que nos abeilles en Touraine jusqu’à
présent ne nous ont rien proposé d’autres !). Il est aussi naturellement à
cristallisation fine et donc facile à tartiner et de saveur douce très appréciée
des jeunes enfants notamment.
Vers la récolte du Miel
Fleurs de Printemps.
Comme on l’a décrit, le miel de printemps
doit impérativement être récolté à un moment ou à un autre. On ne peut pas
laisser les hausses toute la saison car
il va cristalliser et faire cristalliser tout les nectars collectés
ultérieurement dans les cellules. A cet effet ; on doit changer
l’intégralité des hausses quand la miellée d’acacia, seul miel naturellement
liquide de notre région, se précise au
gré des températures en hausse à la fin du printemps.
Après l’effervescence d’essaimage du
printemps, nous attendons pour les colonies encore en production, que la
miellée d’acacia débute et que toute trace de floraison tardive de colza ait
disparue. Par voie de conséquence, les cadres récoltés disposeront de miel plus
ou moins operculés, avec plus au moins d’humidité. Nous effectuons cette
récolte généralement avec le balayage, mais nous pourrions également la
pratiquer avec un souffleur ou bien avec un chasse abeille qui n’est pas un
procédé barbare ou chimique, mais une simple astuce qui consiste à simplifier
la descente des abeilles dans le bas de la ruche tout en compliquant le chemin
dans leur remontée dans la hausse que l’on veut enlever.
Nous devons vérifier avec soin la teneur en
eau du miel récolté et généralement effectuer une déshumidification pendant 24 heures, avant d’effectuer notre
EMMS. Ce faisant, nous sommes vraiment
en processus de « production » car les abeilles n’ont pas eu le
loisir de finaliser ce travail. Par chance, la présence de nectar d’acacia et
d’aubépine ralentit le processus de
cristallisation et ce miel à la capacité de rester plus longtemps dans les
hausses, puis dans les maturateurs.
Un petit rappel s’impose : d’abord un
rappel à la loi, pas plus de 20 % d’eau ! Suivi d’un rappel à
l’ordre : Un miel chargé d’eau risque de fermenter, sans pour autant nous
donner un bon hydromel !
Texture et saveur sont très proches du Miel
de Printemps. On les distingue cependant facilement par la couleur plus grise
du Miel Fleurs de Printemps. Le parfum du miel est également plus complexe du
fait qu’il représente l’éventail de toutes les floraisons de printemps jusqu’à
l’acacia.
Touraine : 2012, 2013, 2014, 2016, 2017,
2019, ou l’énumération des années sans miel d’acacia en Touraine du Nord Est. Quand
les conditions ne sont pas réunies pour récolter le miel le plus demandé, pour
sa texture liquide, il n’y en a pas. Point ! Parfois il y en a un peu,
comme en 2019, mais il vaut mieux le laisser en nourriture aux abeilles quand
la météo présente des risques d’aggravation. De toute façon on en retrouvera
une partie dans le miel de forêt. Après on peut forcer les abeilles à de
grandes transhumances en cherchant des régions plus clémentes, mais non :
on souhaite vous parler de miels de Touraine, principalement.
Pour avoir du Miel
d’acacia,
il faut :
Des colonies dont la population n’est pas
partie en essaimage massif dans les ruchers des voisins
Une petite semaine avec une température agréable,
sur un sol assez humide, et si peu de vent que chaque soir vers 18 heures l’air
embaume la senteur des fleurs d’acacia. Les collègues (ils sont un peu du sud…)
relatent les années somptueuses où le nectar s’épanche en flot continu des fleurs d’acacia.
L’acacia est récolté à maturité, par
balayage. Les cadres non récoltés enrichiront le miel de Forêt.
L’acacia est liquide et peut rester liquide
au moins deux années, sans aucun traitement thermique ou mécanique. C’est donc
le seul miel pour lequel il n’est pas précisé sur l’étiquette « mise en
pot à la récolte », car, pour persévérer dans l’apiculture pendant cette
décennie qui se termine, il convient d’être optimiste et de prévoir que ce miel
pourrait être temporairement stocké par palettes de fûts de 300 kg dans la cave
plutôt qu’en pot !
Miel
de Forêt
Pas d’appellation Châtaignier au rucher de
la Rillonnière, car il s’agirait d’une appellation mono-florale que même les
cévenols ont du mal à garantir certaines années.
Notre Miel de forêt pourrait être qualifié
de « miel d’arbre », mais ce serait encore une erreur car il va
toujours incorporer la floraison des ronciers, entre autre.
La période du Miel de Forêt constitue une
pause bienvenue dans la gestion tendue du planning de
Récolte/Extraction/Nettoyage de la miellerie car la période de butinage est
longue.
Cette période de butinage recouvre au moins
la fin de la miellée d’acacia , la floraison des tilleuls communs puis des
tilleuls argentés, les ronces qui disqualifient souvent le miel dit de
châtaignier et bien sûr le châtaigner qui lui aussi embaume l’air les jours peu
venteux. La miellée de châtaignier
partage ainsi avec la miellée de sarrasin cette caractéristique olfactive
marquée qui nous permet de savoir ce que les abeilles ont butiné
préférentiellement.
Bien évidemment nous collectons uniquement
les cadres de miel à maturité (operculés), toujours en balayage. Cette
disposition, vous fera comprendre par la suite que ce sont les abeilles qui
assemblent le Miel de Fleurs d’Eté.
Le miel de Forêt est également un
« miel de saison », car il cristallise en prenant son temps. A nous
le miel liquide et corsé sur les glaces de l’été ! Le risque étant que sa
cristallisation (de septembre à novembre, parfois), peut générer un gros grain.
Bien évidemment nous pratiquons notre EMMS pour fournir un miel millésimé et
nous le mettons donc en pot encore liquide après la récolte. Cela nous permet
d’afficher fièrement, du moins en 2018 et temporairement, la disponibilité de
deux miels « liquides » : Acacia et Forêt. A maturité consommée, Il garde son attrait comme « miel à
l’ancienne » grâce à une cristallisation qui, suivant les années, peut-être
plus ou moins granuleuse.
Miel
de Forêt dit Crémeux
Il n’y a pas de consensus pour décrire la
qualité crémeuse pour un miel, mais cependant il existe heureusement des techniques anciennes et éprouvées permettant
de figer les qualités gustatives du miel tout en le domestiquant pour prétendre
le tartiner facilement. On prend donc le risque d’une appellation « Forêt
crémeux », principalement pour le distinguer du Miel de Forêt
« Brut » initialement décrit.
Pour cela on va introduire un nouvel
acronyme, l’E3MS, pour Extraction, Maturation, Malaxage, Mise en pot et Stockage, mais surtout utiliser une « recette »
(chaque apiculteur à la sienne !) également utilisée pour le Miel Fleurs
d’été.
L’opération supplémentaire de Malaxage
recouvre plusieurs éléments mais pour l’essentiel consiste en l’adjonction
d’une petite amorce de miel de Fleur de Printemps ou de Printemps à grain
naturellement fin. Le miel ainsi ensemencé et malaxé régulièrement pendant
quelques jours va démarrer une cristallisation à grain fin. Il est ainsi
souvent mis en pot en premier.
La saveur des deux miels reste assez
semblable, mais une fois que les deux miels sont cristallisés et bien que la
quantité de miel de printemps incorporé soit
minime, le miel « crémeux » prend une teinte un peu plus claire.
En moyenne cependant, le miel de Forêt
est susceptible d’incorporer une proportion plus importante de miel de
châtaignier donnant une teinte beaucoup plus foncée et un goût plus soutenu.
Toutes ces opérations sont effectuées A
FROID, suivant une séquence linéaire. A aucun moment le miel n’est réchauffé,
défigé à chaud, etc… Même l’amorce est traitée à froid (merci le Kenwood chef !).
Il existe beaucoup de techniques et
d’outils pour rendre le miel crémeux. Notre malaxeur se nomme « queue de
cochon » (musculation garantie, en inox évidemment !)
Avec cette nouvelle explication, nous
devons quand même avouer que, finalement « on fait du miel » !
Il existe effectivement une activité
d’apiculteur qui consiste à prendre soin des abeilles qui le rendront en nectar
collecté, puis en miel façonné mais surtout préservé dans la miellerie.
Normalement, ne pas récolter d’acacia à
cause d’une météo calamiteuse et pluvieuse, permettrait d’envisager une récolte
ronce-châtaignier. Mais ce n’est pas obligatoire et trop souvent, il
faudra « passer son tour » et tout remettre en jeu sur le miel
suivant, ou simplement se contenter de retirer des hausses vides avant les
opérations de mise en hivernage.
Miel
de Fleurs d’été
Il est assemblé par les abeilles dans les
hausses, parfois depuis le Miel d’acacia. Il faut bien comprendre que sa
récolte est vraiment liée à la dynamique des ruchers (essaimage, orphelinage,
intoxications violentes – rares heureusement) mais surtout à la disponibilité
des ressources florales. C’est aussi à ce moment que la prédation des frelons
commence à handicaper les colonies.
Pour l’essentiel, il faudra compter
sur une miellée de Tournesol, mais un
champ de phacélies sera aussi le bienvenu et il peut être important d’effectuer
de petites transhumances pour que les abeilles remplissent leurs rôles de
pollinisateurs, ou ne meurent pas de faim dans un environnement non adapté.
Pour laisser aux colonies le temps de consolider leurs propres réserves
pour l’hiver, on retire généralement les hausses avant que les tournesols ne
soient défleuris : on force ainsi les abeilles à stocker le miel dans le
corps de la ruche, les réserves pour l’hiver, surtout si on sait de pas avoir
de lierre, dernière ressource abondante de l’année, en suffisance à proximité
des ruchers d’hivernage.
L’appellation Toutes Fleurs devrait pouvoir
être utilisée, mais c’est interdit à juste titre, sauf à permettre de préciser
Toutes Fleurs de Touraine, ou Bretagne, ou Vendée, etc…
Car en effet il s’agit bien d’un miel de
Toutes les fleurs de Touraine puisqu’il va être, comme pour le Forêt Crémeux,
ensemencé avec du Miel de Printemps. Le travail en miellerie s’appuiera donc
sur notre E3MS décrit plus haut.
Généralement, la récolte s’effectue par
balayage de tous les cadres, mais comme pour le miel de Fleurs de Printemps,
elle pourrait très utilement être effectuée au souffleur électrique, mais pour
le moment on n’est pas convaincu que cela soit sympa pour les abeilles... Par
ailleurs, pour glisser un plateau chasse-abeille sous trois hausses pleines de
miel (au moins 50 kilos avec le bois), il vaut mieux être mécanisé (grue,
camion, etc…) et au vu des faibles récoltes de la décennie, il est préférable
d’avoir du matériel amorti !
Miel
de Tournesol
Les années de canicule qui se suivent ne
sont normalement pas propices à la production de miel de tournesol dans notre
territoire.
Pour une appellation mono-florale, il
conviendrait d’acheminer des colonies sans hausses, donc sans réserve, pour la
miellée de tournesol dans le Richelais (pour rester en Miel de Touraine), ou attendre
un millésime faste comme 2018.
Avant la généralisation des problèmes
d’insecticides, et alors qu’il n’y avait pas encore de Varroa Destructor ni de
frelons asiatiques, les récoltes pouvaient être abondantes. Aujourd’hui nous
aurons sans doute rarement l’occasion de faire usage de nos belles étiquettes
bleues du ciel d’été, soulignant le jaune vif, couleur symbolique des blés mûrs,
souvent associé au miel. La récolte sera traitée en mode brut, c'est-à-dire
sans amorce et malaxage. Le grain du miel de Tournesol est relativement fin et
on ne fera qu’un EMMS.
Miel
de Fleur d’été Sarrasin
Le hasard des emplacements de ruchers et
des plans de culture des agriculteurs permet parfois d’avoir à proximité des
champs de sarrasin suffisamment arrosés. Impossible de se tromper quant à la
présence de sarrasin grâce à une odeur très caractéristique, même si le champ
est caché à la vue à un ou deux kilomètres. Le miel produit ne sera pas mélangé
au reste de la récolte et sera traité en mode brut, c'est-à-dire sans amorce et
malaxage. Le grain du miel de Tournesol, souvent associé, est relativement fin
et on ne fera qu’un EMMS.
Pour
Résumer :
Notre Miel de Touraine a son origine en
Touraine même si quelques fois nos abeilles frontalières peuvent aller piller
quelques fleurs loir-et-chériennes, mais
personne ne les blâmera : pas de grande transhumance.
Il n’est jamais chauffé car il est mis en
pot après la récolte en bénéficiant donc
d’un millésime. Comme il n’a jamais été
chauffé, vous ne risquerez pas de l’abîmer en le faisant fondre au bain marie
(40° Max) pour récupérer au fur et à mesure de vos besoins des miels d’étés et de
forêt liquides.
Le miel finalise longuement sa maturation
en pot dans la cave et il présente parfois des signes de cristallisation, pas
forcément esthétiques, mais sans incidence qualitatives.
Nos abeilles ne sont jamais nourries
pendant la saison (à minima elles gardent le miel pour elles) donc vous ne
trouverez aucune trace de « miel de sucre » dans nos pots.
Nous espérons qu’au moins
l’un d’entre eux vous plaira car nos abeilles et nous même, nous nous donnons
beaucoup de travail pour parvenir à ce résultat.